CAIRE (LE)

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CAIRE (LE)

Capitale de l’Égypte, située sur les rives du Nil, par 300 6 de latitude nord et 310 26 de longitude est, Le Caire compte environ 10 millions d’âmes.

C’est la plus belle ville d’art islamique du monde; elle le doit à une brillante floraison d’œuvres architecturales s’étendant sur douze siècles: on y dénombre plus de quatre cents monuments historiques classés. Depuis les murailles septentrionales de la cité fatimide, d’une grandiose austérité, jusqu’à la limite méridionale de la ville, c’est un défilé harmonieux de mosquées, qui se termine en apothéose avec les puissants remparts de la mosquée du sultan Hassan, face à la Citadelle.

1. Fondation de la ville

Le Grand Caire, selon l’expression des voyageurs européens, fut dès sa création une capitale politique. Foyer du shi‘isme, il inquiétait le monde sunnite, et une sorte de cordon sanitaire tenta de restreindre son influence. Aussi, bien des rivales existaient: Bagdad, le vieux pôle de l’Islam, qui avait supplanté Damas; Cordoue, dispensatrice d’une civilisation hors de pair. Au XIVe siècle, sous les sultans mamlouks, Le Caire devient métropole universelle, tout en demeurant un centre de culture, et reste, par sa prospérité commerciale, le point de mire de l’Europe.

La première capitale de l’Égypte islamique, Fostat (du grec phossaton , « camp retranché »), avait bientôt fait figure de grande ville, avec sa mosquée, qu’il fallut rapidement agrandir. Dès l’avènement à Bagdad de la dynastie abbasside (749), les préfets ne se sentirent plus en sécurité à Fostat et s’installèrent au nord, en un lieu dit al-Askar (le « camp »). En instituant un pouvoir autonome, Ahmed ibn Tulun (870) fonda, plus au nord, sa propre cité palatine: sa mosquée, qui existe encore, en précise l’emplacement. La raison de ces divers déménagements fut donc le souci de loger à l’abri des émeutes les chefs responsables, et la création du Caire relève de cette même explication. La ville nouvelle fut créée de toutes pièces dans une plaine sablonneuse, au nord des agglomérations précédentes. La première nuit de son arrivée à Fostat, le commandant des armées fatimides, Djarshar, fit tracer l’enceinte du Caire et poser les fondations du palais califien sur des plans dressés en Afrique du Nord par le calife lui-même. Un horoscope heureux avait été étudié et, sur le parcours des futurs remparts, des pieux furent plantés, reliés par des cordes auxquelles étaient suspendues des clochettes. Les ouvriers furent prévenus d’avoir à jeter le mortier et à poser les pierres dès que les clochettes seraient mises en mouvement par les astronomes. Soudain, un corbeau s’abattit sur ces cordages et le bruit des clochettes retentit. Les tâcherons se mirent à l’œuvre: or, la planète Mars était à l’ascendant, et la ville en reçut son nom: al-Qahira, « la Martienne ».

2. Créations monumentales des Fatimides

C’était le 6 juillet 969: les quartiers furent distribués entre les corps de troupe dix mois plus tard. La nouvelle cité se développait entre le minaret sud de la mosquée d’al-Hakim et la porte Zuwaila; à l’ouest, elle ne s’étendait pas au-delà du canal du Caire, aujourd’hui disparu, mais dont une rue porte le nom et rappelle le cours; ses confins correspondaient, à l’est, aux limites actuelles. Les murailles extérieures étaient bâties en briques crues, et leur largeur au sommet laissait passer deux cavaliers de front. On entreprit sur-le-champ la construction d’un palais royal et, le 4 avril 970, on posait la première pierre de la mosquée al-Azhar, achevée le 22 juin 972. Un second palais fut érigé à l’ouest du précédent, sur l’ordre du calife Aziz (976-996). Les deux édifices étaient séparés par une esplanade devenue célèbre dans le monde musulman sous l’appellation de « Place entre les deux palais », où dix mille hommes de troupe pouvaient évoluer.

Ces deux palais califiens, meublés avec magnificence, ont disparu et fait place à d’autres édifices, dès le XIIIe siècle, sur l’initiative des sultans mamlouks. Mais on a retrouvé de splendides bois sculptés, que le musée d’art islamique du Caire a recueillis. Ces boiseries, justement fameuses, offrent, dans des compartiments, une collection de scènes dont le voisinage surprend: chasses, séances de musique et de danses, beuveries. Certains médaillons représentent des groupes de bêtes affrontées, les unes figées dans des postures d’un calme serein, la plupart des autres traitées avec un sens aigu du mouvement. Le rythme général est dû à l’alternance de petits polylobes et d’hexagones oblongs. Ce contraste de la répartition va de pair avec l’harmonie des figurations qui se répètent symétriquement, à droite et à gauche d’une scène centrale. Les sculpteurs de ces boiseries ont créé des tableaux pleins d’exubérance et d’une beauté presque sensuelle. Deux relations de voyage permettent encore aujourd’hui de s’extasier sur le luxe de ces châteaux, celle du Persan Nasir-i-Khusrau, qui séjourna au Caire en 1046, et celle, enthousiaste, des ambassadeurs du roi Amaury Ier, qui furent reçus à la cour fatimide en 1167.

À la fin du XIe siècle, la première enceinte fut remplacée par de solides murailles en pierre de taille. Les trois portes monumentales qui ont survécu font apparaître une technique parfaite; ce sont: au sud, le Bab Zuwaila; au nord, le Bab al-Nasr et le Bab al-Futuh. Elles évoquent les portes romaines, le Bab al-Nasr surtout, doté de saillants carrés en pierres d’appareil, de moulures et de modillons. Cette porte est reliée à la muraille par un chemin de ronde intérieur. L’ensemble est constitué de voûtes en plein cintre, de voûtes en berceau, de voûtes à moulures multiples ainsi que de coupoles sur pendentifs. Les deux portes septentrionales sont surmontées d’une chambre de tir et pourvues d’un emplacement de herses.

Outre ces trois portes, quelques beaux monuments de cette période ont subsisté: les mosquées al-Azhar, al-Aqmar, de Salih Talaï et d’Ibn Tulun, ainsi que les ruines de la mosquée d’al-Hakim. La mosquée d’Ibn Tulun, englobée depuis longtemps dans le périmètre de la ville, émeut par sa sobriété et sa vigueur; l’édifice exprime avec force la gravité de la foi islamique; la simplicité du plan n’a pas empêché l’architecte de jouer du contraste que la lumière de la cour fait avec la pénombre des nefs, cette dernière accentuée par la masse des piliers. Déjà compensée par les fenêtres qui semblent les alléger, la sévérité des arcades est encore atténuée par la frise des rosaces qui couronne le sommet des murs. Le curieux minaret de cette mosquée, avec escalier hélicoïdal, a été érigé à la fin du XIIIe siècle; il rappelle le campanile originel.

Le fleuron de la dynastie fatimide reste la mosquée al-Azhar. Le monument, transformé en université théologique et agrandi, est une sorte de musée d’architecture et de décoration: immense assemblage d’arceaux et de colonnes, des styles les plus divers, auxquels furent ajoutés trois minarets d’époques mamlouke et ottomane. Cet édifice composite, résultat des recherches diverses de plusieurs générations de princes qui désiraient l’aérer et l’enrichir, fut à l’origine une mosquée de type classique, à cour centrale, entourée de portiques; une notable modification, inspirée du Maghreb, y fut apportée: une plus grande largeur donnée à la nef médiane en direction du mihrab fait de celle-ci une sorte d’allée triomphale.

Un ancien israélite, qui s’était, non sans ostentation, converti à l’islam, instaura en 988 dans la mosquée al-Azhar un enseignement supérieur de théologie, de nuance shi‘ite. Mais cette mosquée fut aussi, selon la remarque de Max Van Berchem, « une académie universelle où l’on enseignait, à côté des sciences musulmanes proprement dites, les disciplines héritées de l’Antiquité ».

3. Construction de la Citadelle

L’avènement de la dynastie ayyoubide (1171), et particulièrement de son fondateur Saladin, constitue une révolution pour l’univers musulman d’Orient, pour l’Égypte et aussi pour Le Caire. Mettant fin à la puissance schismatique des Fatimides, Saladin s’assura d’une place forte où il pût établir sa résidence; il fit choix d’un contrefort de la colline qui domine Le Caire à l’est, le Moqattam, pour y édifier une citadelle. Inaugurée en 1176, elle fut achevée en 1207. Saladin enleva donc à la cité fatimide son caractère de place forte: une partie des palais califiens fut démolie et l’autre convertie en demeures particulières.

L’érection de la Citadelle fait ainsi partie d’un programme et souligne le caractère militaire du régime des Ayyoubides, ainsi que des gouvernements de leurs successeurs les sultans mamlouks, et, plus tard, des pachas ottomans. Parallèlement, la réaction sunnite opérée par Saladin aboutit à la création d’une institution originale, la madrasa , l’école confessionnelle.

La Citadelle constitue le symbole du bouleversement de la structure sociale. Mise en évidence par sa situation, elle provoqua un choc spectaculaire: les centres gouvernementaux, militarisés, se claquemuraient pour parer aux séditions possibles et manifestaient la volonté de ne pas avoir un contact trop étroit avec les autochtones.

4. Agrandissements de l’ancienne cité

La Citadelle une fois édifiée, la ville se donna de l’air, en démolissant une partie des remparts fatimides, tout au moins au sud et à l’ouest. Cependant, la poussée démographique exigeait des agrandissements: vers le sud, la ville s’étend jusqu’à Fostat (Le Vieux-Caire actuel), dont elle avait besoin comme port sur le Nil. Toutefois, entre les deux cités, de beaux jardins subsisteront jusqu’au début du XIVe siècle. À l’ouest, c’est la course au Nil, en attendant que l’île de Bulaq devienne la nouvelle rive et concurrence avec succès le port de Fostat. Un des derniers vizirs fatimides, pour parer à une menace des croisés, avait fait incendier Fostat en 1169, afin de pouvoir mieux se consacrer à la défense du Caire. Ce désastre avait été bien vite réparé; le pèlerin andalou Ibn Djubair, qui passa à Fostat en 1183, constate: « La plus grande partie en est reconstruite et les édifices s’y suivent sans interruption. » On ne songea pas à un élargissement vers l’est: les terrains, au nord et au sud de la Citadelle, servaient déjà de cimetières, et c’est là que s’élèveront un peu plus tard les magnifiques mausolées des sultans et des officiers mamlouks. L’extension vers le nord fut insignifiante, tout au plus un quartier de petits commerçants se développa-t-il en dehors du Bab al-Futuh et du Bab al-Nasr.

5. La cité des sultans mamlouks et des Ottomans

Constructions des mamlouks

Le dénombrement des édifices religieux construits sous les sultans mamlouks (1250-1517) ne manque pas d’éloquence: plus de cent cinquante monuments, qui soulèvent encore l’admiration (mosquées, collèges, couvents, mausolées, fontaines).

On imagine l’étonnement des voyageurs européens qui se hissaient au sommet du Moqattam. On avait de là une des plus belles vues du monde, un panorama magnifique, rehaussé d’innombrables coupoles et minarets qui rompaient agréablement la monotonie d’une ville dont les toits étaient en terrasse; une colossale métropole s’étendait en demi-lune depuis le mausolée de l’imam Shafi‘i, au sud, jusqu’aux tombeaux des califes, à l’autre bout de l’horizon. L’ensemble formait quatre principaux centres urbains très différenciés: Le Caire, cité fatimide proprement dite, ceinte en partie de murailles plus ou moins masquées par des constructions parasites; Le Vieux-Caire, sur le site de l’ancien Fostat; Bulaq, autrefois une île, reliée depuis peu au Caire et qui constituait le port commercial sur le Nil; les cimetières enfin, au nord et au sud de la Citadelle. Certains faubourgs, ceux de Bab al-Luq, de la mosquée d’Ibn Tulun, de Zuwaila, n’offraient plus guère de solution de continuité avec Le Caire.

En Égypte, et principalement au Caire, le commerce a joué de tout temps un rôle primordial. Une bourgeoisie de négociants s’était créée, avide d’un certain confort. Aussi les Cairotes voient-ils s’améliorer leur niveau de vie; leurs établissements commerciaux prennent une dimension internationale, et ce trafic mondial influe sur la croissance de la ville.

Le XVe siècle fut attristé cependant par des démêlés violents qui mettaient aux prises, à intervalles de plus en plus rapprochés, les factions diverses des mamlouks qui, non contents de s’exterminer, dévalisaient les marchés. Pour la paisible population du Caire, ces désordres étaient un véritable cauchemar, l’autorité opprimait plus qu’elle ne garantissait. Les artisans et les boutiquiers n’ont jamais songé à se grouper pour s’affranchir de cette tutelle accablante; ils se bornaient, en cas de péril, à mettre en lieu sûr les marchandises de prix.

Le grand boulevard

En franchissant la porte septentrionale Bab al-Futuh, on accède à une rue qui est restée intacte: c’était l’avenue la plus large du Caire. Elle s’étend, du nord au sud, sur près de quatre kilomètres et demi.

Cette artère maîtresse, épine dorsale du Caire médiéval, faisait l’unité de la cité. Bien que généralement rectiligne, elle est plutôt un chemin qui serpente; en fait l’horizon est presque toujours bouché.

Tout au long de l’avenue, les mosquées se succèdent, groupées par trois ou quatre et s’appuyant les unes aux autres. Leurs minarets s’élancent vers le ciel, brodés d’arabesques, ciselés, compliqués avec la plus changeante fantaisie; ces tours ont plusieurs formes: carrée, rectangulaire ou ronde. La circulation sur ce grand boulevard était difficile: une foule d’hommes s’y pressait, y disputant le passage au cheval du mamlouk, à la mule de l’homme de loi, aux nombreux chameaux qui assuraient les transports, ainsi qu’aux ânes, monture la plus ordinaire. L’on y cheminait donc péniblement, sans cesse bousculé, et cette ruée des piétons et des cavaliers donnait une impression de surpeuplement. Malgré la guerre que leur faisaient les agents de police, des revendeurs étaient assis derrière des piles de pains et autres comestibles. La circulation était encore gênée par les marchands ambulants qui signalaient leur présence par des cris pittoresques et n’avaient pas à pénétrer dans les intérieurs, car les volets s’entrouvraient et, au moyen d’une corde, un couffin hissait du haut d’une fenêtre les victuailles achetées. En plein vent, des barbiers rasaient la tête de leurs clients. Des portefaix se tenaient à la disposition des acheteurs et, pour un salaire modique, rendaient toutes sortes de services. La circulation était enfin gênée par les banquettes de pierre installées en avant de chaque boutique, où les chalands venaient s’asseoir pour leurs emplettes éventuelles ou pour d’interminables palabres. Dernier détail, propre au Caire, cette voie principale était sillonnée par des cuisiniers qui portaient sur la tête des fourneaux allumés, des marmites bouillantes, des viandes rôties à la broche, offrant à l’entour des ragoûts ou des plats à l’étuvée. Car les Cairotes ne préparaient pas chez eux leur nourriture, mais l’achetaient toute prête à ces dangereux cuisiniers.

Enchevêtrement des rues

Que dire des passages moins larges? On n’attendait rien de bon de ce labyrinthe confus, de cet inextricable réseau de venelles étroites et poudreuses. La plupart de ces ruelles étaient très courtes, écrasées par les constructions qui les bordaient; la ville n’était qu’une multitude de maisons disposées dans le plus grand désordre. Par endroits, ces ruelles passaient sous les constructions. En outre, tous les cent mètres environ, on était arrêté par des portes qui bouclaient les quartiers, afin d’assurer leur protection contre les rapines nocturnes. Elles facilitaient le rôle d’une police urbaine réduite au minimum. Le service de garde ne devait pas toujours être assuré avec ponctualité, et un voyageur rapporte avoir vu des gardiens enchaînés à la porte qu’ils devaient surveiller. Ces portes de quartier joueront un si grand rôle lors de la révolte du Caire en 1798 que Bonaparte donnera l’ordre de les faire abattre.

Chaque nuit, sur un itinéraire déterminé, un officier du guet parcourait la ville, entouré de gardes, de porteurs d’eau, de charpentiers, de foulons et de démolisseurs, requis à tour de rôle pour parer au danger du feu. La chance a voulu que les sinistres sérieux aient été infiniment rares. Signalons cependant les deux grands incendies des années 1321 et 1350; malgré une mobilisation générale des porteurs d’eau et des charpentiers, celui de 1350 dura un mois. On mesure par ce fait l’importance de la corporation des porteurs d’eau: la ville étant assez éloignée du Nil, la distribution de l’eau nécessitait un nombre considérable d’hommes et de bêtes; il fallait alimenter chaque logis, les bains publics, remplir les abreuvoirs aménagés pour les animaux, enfin faire le plein des vases en terre poreuse posés sur des trépieds et recouverts d’une planchette, sur laquelle était déposé un gobelet à l’usage des passants.

Travaux d’embellissement

Il était arrivé au gouvernement de s’occuper de la propreté de la capitale. À la fin du XIVe siècle, les propriétaires avaient été contraints de recrépir les façades des boutiques. En mai 1477, l’ordre avait été donné d’élargir les avenues, les rues et les ruelles. On prescrivit la démolition de toutes les constructions édifiées sans titre légal dans les rues et les marchés. Beaucoup de particuliers virent ainsi disparaître leurs propriétés ou leurs boutiques, et ce décret souleva le mécontentement général.

Néanmoins, le gouvernement ne se découragea pas et fit au contraire procéder à la remise en état des façades et des portails des mosquées, au nettoyage de leurs marbres, au blanchiment de leurs murs. On ordonna également le lavage des boutiques et le ravalement des immeubles donnant sur rue. Un inspecteur de la voirie fut nommé, avec mission d’activer les travaux de crépissage et de peinture. Ainsi, déclare un chroniqueur arabe, la ville devint aussi belle que si on venait de la fonder, aussi resplendissante qu’une fiancée au moment où elle découvre son visage devant son époux. À la même date, des travaux furent entrepris au Bab Zuwaila pour remettre la chaussée au niveau des rues environnantes. En 1498, il fut décidé que les boutiques donnant sur rue ou sur des marchés devraient être blanchies et décorées de dessins en couleurs. Les propriétaires subirent de ce fait de grandes pertes, aussi ces mesures furent-elles attribuées aux individus sans aveu qui entouraient le sultan. En 1503, ordre fut donné de creuser les rues jusqu’à une profondeur d’une coudée, car le sol s’était considérablement élevé; les intéressés, tenus de s’exécuter dans les plus brefs délais, éprouvèrent de biens vifs désagréments, car les tâcherons pour coltiner la terre étaient vite devenus introuvables.

Sans doute la propreté de la ville était-elle assurée par des éboueurs, mais ceux-ci trouvaient des collaborateurs bénévoles: charognes et immondices étaient en effet enlevés par des milans, qu’il était interdit de tuer.

Vie commerciale et artisanale

La ville était organisée pour le commerce: des bâtiments spécialisés étaient réservés au dépôt des marchandises, d’autres au logement des négociants; c’est ce qu’on appela des caravansérails, des fondouks , ou encore des okelles (transcription de l’arabe), ou enfin des khan (vocable persan): édifices carrés, construits autour d’une grande cour, avec un portique qui abritait une galerie; le rez-de-chaussée était réservé à de spacieux magasins et l’étage divisé en appartements, sans mobilier (on apportait de quoi coucher et l’on préparait sa nourriture). À l’époque ottomane, du XVIe au XVIIIe siècle, ces khan deviennent nombreux dans le quartier de Bulaq, dont la prospérité était déjà attestée par Léon l’Africain dès le XVIe siècle.

Parmi les commerces pratiqués sur le grand boulevard, il suffit de mentionner les artisans qui frappaient le plus les voyageurs européens: fabricants de serrures et de clefs en bois, orfèvres dont le bazar était célèbre sous la dénomination de marché des « petites cages », car les bijoutiers tenaient leurs bagues et leurs bracelets enfermés dans de petites caissettes. Le marché des cuivres incrustés d’or et d’argent était lui aussi renommé. Des tourneurs sur bois suscitaient l’intérêt des voyageurs par leur adresse: ils se servaient des orteils pour accélérer leurs travaux. Enfin, les relations de voyage s’étendent avec complaisance et indignation sur le marché aux esclaves, où l’on vendait des hommes et des femmes « comme on vend du bétail ».

Cimetières

Une description du Caire ne saurait négliger les cimetières, à l’est des quartiers d’habitation. Il s’agit de nécropoles au sens le plus étroit du mot, de villes des morts. Celle du sud s’est formée autour de la tombe de l’imam Shafi‘i, le fondateur du rite le plus populaire en Égypte. Les sultans mamlouks sont enterrés au nord de la Citadelle. L’envol des coupoles et des minarets, éclatants de blancheur et sans ombre dans un ciel presque immuable, rend l’aspect du lieu plus paisible que désolé. Les deux mausolées les plus importants sont ceux du sultan Barquq (1406-1410), vaste édifice qui abrite, en plus de la sépulture du souverain et de son fils, un couvent de grandes proportions. Le second, le tombeau du sultan Qaitbay (1474), vaut aussi bien par l’harmonie de l’ensemble que par la perfection des détails. Monde poétique d’une fantaisie exubérante, d’une douceur sans pareille.

6. Le Caire au XIXe et au XXe siècle

Mohammed Ali

Outre la mosquée que Mohammed Ali fit élever sur le flanc ouest de la Citadelle et qui s’aperçoit de très loin, au nord comme au sud, il créa le jardin de l’Ezbékieh, ainsi que trois grandes artères bordées d’arbres qui en assuraient l’accès. C’est lui qui fit construire la fameuse allée de Choubra menant, vers le nord de la ville, à un somptueux pavillon de plaisance. Les exigences de l’urbanisme ont fait disparaître cette inoubliable avenue bordée de figuiers et d’acacias, si vantée par les voyageurs du XIXe siècle. Sous son règne, les cimetières qui se trouvaient encore à l’intérieur du périmètre habité furent rejetés au-dehors. Enfin, en l’année 1847, il fut décidé que les rues de la ville porteraient leurs noms en des endroits visibles et que le numérotage des immeubles serait obligatoire, ce qui ne signifie point que, même à notre époque, il soit aisé pour le voyageur de retrouver son chemin dans les rues du Caire.

Le foyer du panarabisme

En 1882, Le Caire fut occupé par les Anglais; désormais son histoire se confond avec celle de l’Égypte. Quartier général du Moyen-Orient « britannique » pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville fut le siège de plusieurs conférences: notamment, en 1943, Churchill, Roosevelt et Chang Kaï-chek s’y réunirent en vue d’élaborer une politique commune contre le Japon. Les forces britanniques quittaient la ville en 1946.

Rivale de Bagdad, Damas, Amman, Jérusalem, Le Caire est aujourd’hui la plus grande ville d’Afrique; une véritable classe moyenne s’y est développée, d’origine essentiellement rurale, qui constitue un groupe social actif, fait de petits et moyens fonctionnaires, de commerçants, etc., à qui il faut ajouter une population étudiante très radicale et cosmopolite. C’est cette classe qui a exigé l’évacuation de l’Égypte, la restitution du Soudan; elle trouve dans le panarabisme la plus haute manifestation d’un nationalisme qui n’est pas seulement la revendication d’une tradition; elle a fait du Caire, où se sont réunies plusieurs conférences africaines et afro-asiatiques, un des foyers de la lutte contre les puissances coloniales – voire impérialistes – et la « Voix des Arabes » n’en est pas la moindre expression.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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